Peppa Euffray « Le silence n’est pas une fuite. C’est une intensité. »

Elle dessine plus qu’elle ne parle. Écrit plus qu’elle ne publie. Agit plus qu’elle ne s’expose. Peppa Eufray ne se définit pas comme une actrice, une star ou une muse. Elle se dit «passeur d’émotions», entre ceux qu’on entend trop et ceux qu’on oublie trop souvent. Sa parole est rare, son engagement constant. C’est sur du papier fait à partir de résidus organiques, imprimé localement, qu’elle a accepté de répondre à ces vingt questions. Une discussion à cœur ouvert, entre art, silence, famille et futur.

Peppa Eufray

Pepress : Peppa, votre nom
résonne dans le monde entier. Mais qui êtes-vous, vraiment, quand personne ne vous regarde ?


Peppa Euffray :
Je suis cette enfant qui observait le plafond pendant que les autres jouaient. Celle qui pleurait en silence quand une feuille tombait d’un arbre. J’ai longtemps pensé que ma sensibilité était un handicap. Aujourd’hui, je sais que c’est ma matière première. Hors caméra, je suis très simple. J’aime les choses lentes. Les petits gestes. Le thé bien infusé. Les crayons bien taillés. Les mots justes, même s’ils viennent tard. J’ai besoin de solitude pour respirer, de nature pour penser. J’ai appris à dire non, à me préserver, à désobéir quand il
le faut. Je ne veux pas qu’on me voie comme une perfection ambulante. Je suis incomplète, souvent fatiguée, parfois contradictoire. Mais sincère, toujours. Et en paix avec mes incohérences.

Pepress : Vous avez vécu un événement bouleversant dans votre enfance, qui semble encore vous habiter. Pouvez-vous nous en parler ?

Peppa Euffray : 
Mon frère Maxence avait huit ans. Il adorait courir, grimper, danser. Un jour, une voiture a basculé notre réalité. Il est resté en vie, mais ses jambes ont cessé de bouger.
Je ne parle pas souvent de ce moment, pas parce que je l’ai oublié, mais parce qu’il est là tout le temps. Le handicap n’est pas un fait passé, c’est un quotidien. Ce n’est pas une épreuve, c’est un rythme différent. Maxence m’a tout appris : la patience, la joie malgré tout, la créativité quand tout manque. Il est devenu informaticien, poète, dessinateur d’ombres. Il ne se plaint jamais. Il invente. Il éclaire. Il me guide. Si je suis engagée aujourd’hui, ce n’est pas parce qu’il le faut. C’est parce que je n’ai pas le choix. On ne peut pas fermer les yeux quand on a grandi en les gardant ouverts.

Pepress : Votre robe faite en papier attire toutes les curiosités. Pourquoi ce choix de matière si inattendu ?

Peppa Euffray : 
Je n’ai pas choisi une matière, j’ai choisi une philosophie. Le papier Pepeuf n’est pas qu’un papier. C’est une promesse. Il vient de ce que l’industrie rejette : la bagasse de canne à sucre. Et il est façonné par des personnes qu’on rejette aussi trop souvent : des artisans en situation de handicap. Il n’y a rien de plus beau. Rien de plus cohérent. Ce papier est léger mais porteur. Il ne crie pas. Il murmure. Il se plie, se déchire, se reforme. Comme moi. Comme nous. Porter ce papier — ou plutôt, l’habiter —, c’est dire qu’on peut créer sans détruire. Fabriquer sans abîmer. Rêver sans exploiter. Ce n’est pas un choix esthétique. C’est un geste, un alignement, une déclaration d’intention.

Pepress : Le monde vous connaît comme actrice. Mais vous êtes aussi dessinatrice, écrivaine, parfois musicienne. Pourquoi tant de formes ?

Peppa Euffray :                                        Parce que je ne sais pas faire autrement. Chaque émotion a sa langue. Certaines se
disent avec les yeux. D’autres avec l’encre. Certaines hurlent à travers un personnage, d’autres ne trouvent la paix que dans un accord de piano mal joué. Je ne cherche pas à être multiple, je le suis. Le papier est souvent mon point d’ancrage. Il accueille mes excès, mes doutes, mes visions. Il est mon miroir. Je n’ai jamais aimé les cases. Je me sens étrangère aux catégories. L’art n’est pas un métier pour moi, c’est une nécessité. Un instinct. Une forme de respiration. Et tant que je peux respirer, je crée.

peppa Euffray

Pepress : Votre frère revient souvent dans vos propos. Que vous a-t-il transmis de plus précieux ?

Peppa Euffray : 
Le silence qui soigne. Maxence ne parle jamais trop. Il écoute. Il capte l’invisible. Il a cette capacité à voir l’intérieur des gens sans les juger. Il m’a appris qu’on peut vivre une injustice et choisir de ne pas devenir amer. Qu’on peut perdre une partie de son corps et rester entier. Il a fait de moi une sœur en éveil permanent. Une femme qui regarde les trottoirs, les rampes, les ascenseurs, autrement. Il m’a donné cette obsession de l’inclusion. Ce refus de faire comme si tout allait bien quand tant de gens vivent derrière des barrières. Il est ma boussole morale. Mon alter-âme.

Pepress : Vous avez choisi de collaborer avec une papeterie éthique comme Pepeuf. Qu’est-ce qui vous a séduite dans ce projet ?

Peppa Euffray : 
Le mot “éthique” est souvent galvaudé. Ici, il est incarné. Concret. Pepeuf ne
se contente pas de proposer une alternative au papier
classique. C’est une vision.
Une main tendue vers l’environnement, et une autre vers l’humain. Ce papier ne sacrifie rien. Il transforme. Il élève. Il donne une dignité nouvelle à ce qu’on croyait perdu. Quand j’ai appris que chaque carnet était fabriqué localement, par des personnes en situation de handicap, à partir de déchets organiques… j’ai
ressenti une sorte de paix.
Comme si, enfin, je pouvais
continuer à créer sans  culpabilité. Ce partenariat n’est pas une opération d’image. C’est une rencontre. Et une évidence.

Pepress : Votre engagement est souvent discret mais profond. Pourquoi cette forme de militantisme plus souterraine ?

Peppa Euffray : 
Parce que ce qui est le plus sincère n’a pas besoin de projecteurs. Je ne crois pas à l’indignation à haute voix pour des likes. Je crois à l’engagement réel. Celui qui ne se photographie pas. Qui passe par des gestes minuscules. Une conversation avec un jeune en fauteuil. Une visite silencieuse dans une école oubliée. Une lettre envoyée à un ministre, puis une autre. Je fais des dons, oui. Mais surtout, je donne du temps. De l’écoute. Du lien. L’engagement, ce n’est pas un costume qu’on enfile pour une cause. C’est une manière d’habiter le monde, tous les jours. Même quand personne ne regarde.

Pepress : Peut-on être artiste et mère sans renoncement ?

Peppa Euffray:                                                   On peut. Mais pas sans tensions. Mon fils est mon professeur le plus exigeant. Il m’oblige à me recentrer. À renoncer à l’ego, à l’agitation, à l’inutile. Il me ramène à l’essentiel. J’ai appris à travailler la nuit, à écrire entre deux siestes, à dessiner pendant qu’il découpe ses propres formes. Je ne sépare plus la vie de la création. Elles coexistent. Se contaminent. Il y a des jours où je suis une mauvaise artiste parce que je suis une bonne mère, et inversement. Mais j’ai cessé de culpabiliser. Je ne veux pas tout réussir. Je veux que mon fils voie que
l’imperfection peut être belle, et que la tendresse est une force.

Peppa Euffray - 16 mars 2024

Pepress : Vous évoquez souvent le silence. Pourquoi y
tenez-vous tant ?

Peppa Euffray :
Parce que c’est là que tout
commence. Le silence est un ventre. Une matrice. Il contient l’écho de ce qu’on ne dit pas, de ce qu’on n’ose pas entendre. J’ai besoin de silence pour écrire, pour jouer, pour aimer. C’est une discipline, presque une spiritualité. Le silence me permet d’écouter ce que le vacarme du monde étouffe : le souffle de Maxence quand il dort, les craquements d’un papier qu’on déplie, la peur d’un enfant qui ne sait pas encore parler. Dans le silence, je trouve la vérité. Ce n’est pas une fuite. C’est une intensité.

Pepress : Quelle est votre relation
au corps, au vôtre et à
celui des autres ?

Peppa Euffray :
J’ai longtemps eu peur de
mon corps. De sa lumière. De ses douleurs. Puis j’ai appris à l’habiter. Le théâtre m’a aidée. Le dessin aussi. Aujourd’hui, je le vois comme un outil. Un terrain d’écoute. Il me dit quand je vais trop vite, quand je m’égare. Le corps de Maxence a transformé
ma vision. Il m’a appris que
l’essentiel n’est pas dans la
performance, mais dans la
présence. Dans ce qu’un regard, une respiration, une immobilité peuvent dire. Le corps est une voix. Même quand il ne parle pas.

Pepress : Et votre rapport au papier Nat by Pepeuf ? Pourquoi est-il si fort ?

Peppa Euffray : 
Le papier, c’est la première
chose qui m’a laissée m’exprimer sans jugement. Il ne corrige pas. Il ne contredit pas. Il accueille. C’est sur du papier que j’ai écrit mes premières lettres à Maxence, quand j’avais peur de lui parler de l’accident. C’est là que j’ai dessiné mes premières scènes, que j’ai gribouillé mes premiers personnages. Le papier est mon compagnon de solitude. Mon confident. Ma chambre secrète. Et aujourd’hui, grâce à Pepeuf, il est aussi un acte éthique. Écrire sur ce papier, c’est écrire en paix

Pepress : La robe en papier Pepeuf confectionnée par la styliste Tania Zekkout que vous porterez va être vendue. Pourquoi cette décision ?

Peppa Euffray :
Parce qu’elle n’est pas un
objet de mode. C’est une
passerelle. Une idée matérialisée. Elle a été pensée pour exister, puis disparaître — mais en laissant une trace. Les fonds récoltés seront utilisés pour soutenir des projets très concrets : des ateliers artistiques adaptés, des programmes éducatifs durables, des formations
inclusives. Je veux que cette robe, qui est née du recyclage et du soin, continue à soigner. Qu’elle devienne une source de lumière pour d’autres. Ce n’est pas un vêtement. C’est un relais.

Pepress : Un mot pour conclure ?

Peppa Euffray :
Tendre. C’est le mot que je choisis. Parce que tout ce que je fais, je veux le faire avec tendresse. Même quand je dénonce. Même quand je bouscule. On peut
être radical sans être brutal. Exigeant sans être arrogant. Le monde n’a pas besoin de plus de bruit. Il a besoin de bras ouverts. De gestes doux. D’idées solides portées avec douceur. Alors voilà : tendre. Comme une feuille de papier. Comme une main posée sur une autre.

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